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La mensuration - la musique

Les signes de mensuration
Monnayage des valeurs
Deux sortes de points !

Imperfection partielle
Retour sur l'altération

Les modes et leur notation

Extraits musicaux réels
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Rares sont les pièces dont l'amplitude rythmique reste confinée dans une seule division ! Voilà pourquoi j'ai attendu ce moment pour introduire les signes de mensuration : tous indiquent le type des deux divisions essentielles tempus et prolatio simultanément.

 

Les signes de mensuration

Ils sont placés, comme de nos jours, au départ de chaque partie pour établir la mensuration, ou insérés par la suite pour la changer. Il n'était pas rare que les parties reçoivent des mensurations différentes les unes des autres.

Signe mens_o_pt : Le cercle parfait (et non la lettre O) indique le tempus perfectum, division ternaire des brèves en semi-brèves, tandis que le point interne indique la prolatio major, division ternaire des semi-brèves en minimes.
Une transcription moderne sans réduction des valeurs conduirait donc à une mesure 9/2 ; l'usage du point (d'addition !) actuel dans la transcription peut être source de confusion, mais il est inévitable dans notre système totalement binaire : chaque brève parfaite est ici représentée par trois rondes pointées liées, chaque semi-brève parfaite par une ronde pointée valant trois blanches.

Signe mens_o : Le cercle parfait indique le tempus perfectum, mais l'absence de point indique cette fois la prolatio minor, division binaire des semi-brèves.
Une transcription moderne sans réduction conduit à une mesure 3/1 : la brève parfaite est représentée par trois rondes, chacune constituée de deux blanches.

Signe mens_c_pt : Le cercle incomplet (qui n'est pas la lettre C) indique le tempus imperfectum (brèves binaires), et le point la prolatio major (semi-brèves ternaires).
Transcription moderne 6/2 sans réduction : la ronde pointée représente la semi-brève parfaite.

Signe mens_c : Indication de tempus imperfectum et prolatio minor (semi-brèves binaires) ; ah, s'il n'y avait eu que ce signe, nous aurions fini depuis longtemps :-)
Transcription moderne 2/1 sans réduction.

Je suis le premier désolé de n'avoir pu consacrer qu'un pixel au point interne à deux de ces signes, mais cela me vaudra peut-être une lecture encore plus attentive de votre part :-)

 

Monnayage des valeurs

Je tiendrai ma promesse d'abandonner la notation N et n utilisée sur la page précédente. Mais il nous faudra toujours exprimer les valeurs des notes : en présence de deux divisions simultanées nous adopterons comme unité la petite note de la prolation, c'est à dire la minime.
Voici donc, pour chaque mensuration, la valeur des notes dans ces nouvelles unités :

mens_o_pt mens_o mens_c_pt mens_c
M 1 1 1 1
S 3 2 3 2
B 9 6 6 4
(Nous éviterons autant que possible d'expliciter la valeur fractionnaire des notes plus courtes)

Quel plaisir d'entendre enfin des rythmes plus variés : mens_c B S M M Sm Sm Sm Sm M M B

Pour des raisons typographiques évidentes, je me limite à représenter la valeur des notes, mais pas leur hauteur qui n'a aucune incidence sur notre propos.

Seulement voilà... que deviennent nos règles, énoncées jusqu'ici en termes de figures de notes, si je remplace ces dernières par des groupes de valeur plus petites (équivalentes au total) ? Les règles s'appliquent-elles encore et, si oui, comment ?

Règle G2 : La valeur totale d'un groupe n'est jamais modifiée par une règle d'imperfection ou d'altération.

Et c'est fort heureux : s'il fallait distribuer l'effet de la modification sur chaque plus petite valeur du groupe, le système tournerait franchement au cauchemar !

exemple 2bis (à comparer avec l'exemple 2) : mens_o S S S S B = 2 2 2 | 2 4 d'après I2.
Il est exclu d'appliquer I1 collectivement au groupe des trois premières semi-brèves !

Règle I4 : Un groupe peut être la cause d'une imperfection au même titre que la figure de note qu'il remplace.

exemple 2ter : a) mens_o B M M B = 4 1 1 | 6 ;  b) mens_o B sil_M M B = 4 (1) 1 | 6 ;  c) mens_c_pt S Sm Sm S
Ici l'on retrouve l'évaluation de l'exemple 2 originel : a) le groupe de deux minimes est la cause d'une imperfection par la règle I1 prenant le pas sur I2 ; b) les silences de minimes agissent de même ; c) les valeurs sont réduites de moitié (mens_c_pt implique des semi-brèves parfaites).

exemple 4bis : mens_o B M M S S M M M M B = 4 1 1 | 2 2 1 1 | 1 1 4
Le premier groupe de deux minimes déclenche l'application de I1, le dernier de I2 (cf ex 4).

A l'inverse, évidemment, une note ou une séquence qui ne déclenche pas l'application d'une règle ne le fera pas plus si elle est remplacée par des valeurs plus petites :

exemple 21 : mens_o B S S S B S S M M B M S S M B  emprunté à Apel page 108.
Les groupes équivalents à trois semi-brèves ne déclenchent pas plus I1 ou I2 que ne le faisaient ces notes elles-mêmes, d'où : 6 | 2 2 2 | 6 | 2 2 1 1 | 6 | 1 2 2 1 | 6  avec une jolie petite syncope en fin de séquence !

 

Deux sortes de points !

La coexistence de deux divisions différentes occasionne la rencontre des deux types de points ; à ce sujet rappelons-nous bien que :


exemple 5bis : mens_o B S M M S ° M B = 4 2 | 1 1 3 1 | 6
Cas on ne peut plus clair : le point affecte une semi-brève binaire de la prolation mineure, et la minime complémentaire suit immédiatement.

exemple 22 : mens_o S S ° S S S M B = 2 3 2 2 2 1 | 6  emprunté à Apel page 117.
Même mensuration, mêmes remarques, si ce n'est la syncope résolue par une minime un peu plus lointaine.

Tôt ou tard l'on rencontre les deux sortes de points à peu de distance ! Voici un exemple :

exemple 23 : mens_o B ° S ° M S S B = 6 | 3 1 2 | 2 4  emprunté à Apel page 117.
Le premier point ne peut être d'addition : il suit une brève parfaite ; de fait il la protège de l'imperfection qui serait dûe au groupe valant quatre semi-brèves à sa droite. Ensuite vient un point d'addition, et pour finir la brève terminale subit l'imperfection évoquée à l'instant, mais à gauche cette fois-ci.

Parfois le scribe nous fait le cadeau de distinguer le point de division de celui d'addition, en écrivant le premier un peu plus haut ou en le représentant par un coche.
Pourquoi cette notation claire ne s'est-elle pas généralisée ? Peut-être parce qu'elle s'applique mal au cas où les deux sortes de points devraient être écrits à la même place... Apel croit avoir trouvé un tel exemple :

exemple 24 : mens_o B S ° M S S B = 4 3 1 2 2 | 6  emprunté à Apel page 117.
Franchement, je me demande si Monsieur Apel ne succombe pas ici au plaisir d'exhiber un cas trop subtil. Voyons :
Dans un premier temps, négligeant les détails au niveau prolation, nous imaginons les deuxième et troisième notes comme deux semi-brèves, et remarquons que la première brève, suivie d'un groupe équivalent à quatre semi-brèves, est amputée d'une semi-brève par imperfection à droite. Ceci est confirmé a contrario par notre exemple 23 tiré de... Apel lui-même, un peu plus bas sur la même page ! Le point de division y empêche justement l'imperfection de la première brève.
Dans un deuxième temps, nous réintégrons les détails omis jusqu'ici, et le rôle additif du point qui suit la semi-brève suffit donc à obtenir le résultat, sans qu'à mon avis il soit nécessaire d'affirmer que "the dot functions as a punctus divisionis with respect to the tempus by marking off a group of perfection, and as a punctus additionis with respect to the prolatio by adding a half to the value of the S".
Il est vrai que quelque chose est étonnant dans cette séquence : la valeur de la brève semble amputée d'une valeur inférieure à celle de la cause d'imperfection ! Mais, précisément, et contre l'avis d'Apel, cela montre bien que la division des perfections n'intervient pas au lieu du point d'addition : car, si ce dernier indique bien des valeurs 3 et 1, en revanche, le total 4 est divisé en 2 et 2 reversés dans les perfections de gauche et de droite !

Transcrit en notation moderne, cet exemple comprend d'ailleurs une liaison traversant la barre de mesure, analogue ici de la frontière de perfection.

Nous rencontrerons par la suite d'autres cas où ce raisonnement en deux étapes s'avère fructueux.

 

Imperfection partielle

Il s'agit d'une petite nouveauté, possible uniquement lorsque coexistent plusieurs niveaux de division ! Pour bien la comprendre, il faut revenir un instant sur le mécanisme de l'imperfectio ad totum vue jusqu'ici, pour l'expliciter :

Le tout de la brève, divisible par trois, voit l'une de ses parties remplacées par une note ou un groupe valant justement un tiers de la valeur parfaite. Résultat 4 2. imperf_totum


Voici d'ailleurs ce qu'en disait Blockland de Monfort sur sa page 35 :

"Quand devant ou après quelque note parfaite selon son degré, est prochainement située une moindre, ou sa valeur, valant la tierce partie d'icelle, étant superflue outre le nombre ternaire : Comme, quand en mode majeur parfait, devant, ou après quelque maxime est superflue une longue, ou sa valeur (comme deux ou trois brèves, ou sa pause) alors faut diminuer la plus grande note, d'autant que vaut la moindre, à celle fin que rien ne soit superflu outre iceluy nombre.
Semblablement quand en mode mineur parfait, devant, ou après quelque longue est superflue une brève, ou sa valeur : Et en temps parfait devant ou après quelque brève, une semi-brève, ou sa valeur : Et en prolation parfaite devant, ou après quelque semi-brève, une minime, ou sa valeur."

Partie proche

Considérons maintenant une longue suivie d'une semi-brève, en tempus perfectum. La longue pourrait être binaire ou ternaire - je la choisis binaire pour l'exemple :

Par la pensée, divisons la longue en ses deux moitiés constituées de brèves parfaites, puis appliquons l'imperfection à la seconde partie : la troisième semi-brève de cette brève est remplacée par la semi-brève qui suit la longue (ou par un groupe équivalent), pour un résultat 10 2. imperf_propin

Bien entendu cette sorte d'imperfection est également possible à gauche : mens_o S L = 2 10.

Voici l'explication de Blockland, page 36 :

"Si la moindre note, ou sa valeur, ne peut valoir la tierce partie de la grande, mais bien de quelque autre parfaite comprise en icelle, lors elle causera seulement imperfection, et non à la grande, comme si en mode majeur et mineur parfaits devant ou après une maxime est prochainement située une brève, ou sa valeur, elle ne pourra icelle du tout rendre imparfaite, (vu qu'elle ne vaut sa tierce partie) mais causera seulement imperfection à la prochaine longue comprise en icelle, de laquelle elle peut faire tierce partie. Et ainsi des semi-brèves après les longues en mode [mineur] et temps parfaits : Et des minimes après les brèves en temps et prolation parfaits."

exemple 25 : a) mens_o L S S = 8 2 2 ;  b) mens_o S L S = 2 8 2   (Apel page 111)
a) la longue est amputée des deux dernières semi-brèves de sa seconde moitié (elle ne pourrait être ici diminuée davantage en raison de la règle C0) ;
b) imperfection à gauche et à droite pour chaque moitié de la longue.

Remarquez que le scénario ci-dessus reste valable si la longue est ternaire, pourvu que la division de niveau inférieur le soit également puisque c'est elle qui héberge le mécanisme d'imperfection. Par conséquent, comme le disait Blockland, les choses fonctionnent de même sous des mensurations telles que :
mens_c_pt B M (la plus haute note est binaire comme ci-dessus)   mens_o_pt B M (elle est ici ternaire)

Gardons-nous de conclure à une complication folle du système : n'oublions pas qu'en l'absence de symboles de liaison, il nous faut un moyen de construire des valeurs complexes, et ce mécanisme fonctionnant par soustraction est somme toute très naturel... Voici ce qu'il permet désormais :

exemple 26 : mens_c_pt B M S M M M M M B M S M ° M S B   (Apel page 120)
Deux premières notes : imperfectio ad partem propinquam à droite ; les deux suivantes : imperfectio ad totum à droite ; huitième, neuvième, dixième notes : imperfectio ad partem propinquam à gauche et à droite ; quatre avant-dernières notes : imperfectio ad totum par la droite puis, après le point de division, par la gauche (en l'absence de point il y aurait en principe altération de la seconde minime au niveau prolatio).
Résultat : 5 1 | 2 1 | 1 1 1 | 1 4 1 | 2 1 | 1 2 | 6  (dans cette mensuration, nos frontières délimitent dès que possible des perfections de la prolatio valant trois minimes).

exemple 27 : mens_o_pt M B M ° B = 1 7 1 | 9   (Apel page 122)
Sauf erreur, le point de division me paraît être un cadeau du scribe plutôt qu'une nécessité (puisque l'imperfection à gauche de la dernière brève a une priorité faible selon la règle I3).

Dans ce genre de cas, la valeur de la brève peut descendre jusqu'à quatre minimes, mais jamais en-dessous, car alors elle pourrait être notée par une semi-brève parfaite (ce qu'énonçait, au fond, notre règle C0 - en tenant compte du changement d'unité survenu entre temps).

exemple 28 : mens_o_pt M sil_M M M B Sm Sm B = 1 (1) 1 1 4 1/2 1/2 | 9   (Apel page 122)
Nouvelle illustration qu'un silence est cause d'imperfection au même titre que la note qui lui correspond. En l'absence de point, il faut à nouveau préférer l'imperfection (partielle ici) à droite de la première brève par les deux semi-minimes, plutôt que l'imperfection à gauche de la seconde brève par ces mêmes notes.

exemple 29 : mens_o_pt B Sm Sm S ° M ° B = 4 1/2 1/2 3 1 | 9   (Apel page 122)
Exemple assez subtil ! Je prends le risque de vous livrer mon analyse...
Le premier point de division évite l'imperfection de la semi-brève par la minime suivante au niveau prolatio (En division ternaire, il ne peut en aucune façon s'agir d'un point d'addition agissant sur une semi-brève... binaire ! Ce genre d'approche, bien que totalement erronée, a pu conduire accidentellement parfois, comme ici, au résultat ; Yssandon [folio 20 verso] dénonçait cette confusion dès 1582 !).
Le second point apporte une clarification au niveau du tempus : musicalement, il serait désormais vraisemblable qu'une partie seulement du groupe intermédiaire affecte la première brève, et le reste la seconde.

Partie éloignée

Je ne puis vous cacher l'existence d'un mécanisme d'imperfection affectant une partie encore plus petite de la longue note, comme dans les séquences suivantes :
mens_o_pt ou mens_c_pt  L M , ou L Sm Sm , ou M L M  etc... ; mens_o Mx S (la première est une maxime) ; etc....

Toutefois restons honnête : ces cas d'imperfectio ad partem remotam sont rares. Je n'en ai pas personnellement rencontré, Blockland de Monfort n'en parle pas, et Apel lui-même échoue près du but, puisque l'exemple qu'il donne page 112 s'avère finalement - grâce à sa perspicacité - n'être qu'une imperfectio ad partem propinquam.
Néanmoins il est indispensable de savoir que ce phénomène peut survenir, si l'on veut se donner une chance de le transcrire correctement lorsque l'occasion se présente...

Une question de vocabulaire

Il est dit plus haut que la division hébergeant l'imperfection partielle doit être ternaire. Sachez qu'un auteur comme Machaut a dérogé (le premier semble-t-il) à ce principe :
mens_o B M  (transcrit en notation blanche à partir d'un exemple dans Apel page 345).

Notez bien la mensuration (absence de point) : ici l'imperfectio ad partem propinquam se produit dans une division prolatio minor, il y donc amputation d'une moitié de semi-brève binaire ! Si l'on conçoit que le mécanisme fonctionne aussi bien dans un tel cas, en revanche il vaudrait mieux en toute rigueur le désigner d'une périphrase telle que "remplacement partiel" plutôt qu'employer le terme d'imperfection n'ayant de sens qu'en division ternaire.

 

Retour sur l'altération

En principe, l'altération s'emploie uniquement lorsque la règle C2 interdit la transcription naturelle du rythme 1 2. Remarquons que similis ante similem perfecta s'applique manifestement à des figures de notes ou de silences, et non pas à des groupes de valeurs plus petites qui leur seraient équivalentes au total. On en déduit qu'un groupe ne peut pas être cause d'altération de la note qui le précède :

mens_o ...S S S ° M S = ... 2 2 3 1 2  contrairement à  mens_o S S B = 2 4 | 6

Quelle ne fut pas ma surprise en lisant ce passage dans Blockland de Monfort sur sa page 38 :
"Quand vous trouverez deux pauses de semi-brèves pendantes en une même règle, avec deux demi-brèves et une brève, alors la seconde est altérée, et vaut deux demi-brèves : car lesdites deux pauses en une même règle sont estimées pour une brève [sic], et pour éviter l'altération les faut mettre sur diverses règles".

breve semibreve semibreve sil_semibreve sil_semibreve

breve semibreve semibreve sil_semibreve sil_semibreve

Plus je lis ce passage, et moins je le comprends !
Tout d'abord, comment peut-on égaler deux silences de semi-brèves à une brève en... mensuration parfaite ??? Peut-être Blockland, tirant cette séquence d'un exemple réel, avait-il en tête une semi-brève à venir encore sur la droite, qu'il aurait incluse dans son compte mais oublié de reporter dans son traité ? Il faut bien trouver une raison à cette affirmation aberrante...
En dehors de cela, j'observe qu'il me paraît incorrect d'évoquer ici l'altération, puisque le rythme qu'elle est censée représenter s'obtiendrait par l'écriture naturelle breve ° semibreve breve sil_semibreve sil_semibreve   Il ne viendrait à l'idée de personne, je pense, de dire que la deuxième brève doit être parfaite par application de similis ante similem perfecta, en l'absence d'une figure semblable qui la suivrait...
Si vous comprenez quoi que ce soit à ce passage, merci de m'en enveloppe !

Evolution historique

Comme expliqué sur la page précédente, malgré l'absence d'un point de division, l'imperfection prend souvent le pas sur l'altération dans des séquences telles que :

a) mens_o B S S B ;   b) mens_c_pt S M M S

D'après Apel, c'est encore plus souvent vrai dans le cas b), la raison qu'il donne étant que le rythme obtenu par imperfection est "plus naturel musicalement" étant donné le temps binaire. Argument moyennement convaincant : l'auteur ne manque pas de rejeter ce genre de raisonnement lorsqu'il est avancé par un autre (cf une note page 130), et d'ailleurs je ne vois pas ce qui l'empêcherait de s'appliquer au cas a) lorsque la longue est binaire.
Peut-être faut-il chercher l'explication dans le fait que la minime apparut plus tard, à un moment ou l'altération était déja sur une pente descendante ? Indice supplémentaire : aucune minime n'a jamais été incluse dans une ligature, dont on sait qu'elle force l'évaluation par altération...

La mensuration mens_o_pt

Non pas qu'elle constitue dans l'absolu un cas particulier, mais la coexistence de deux divisions ternaires y produit des phénomènes intéressants :


En revanche les points d'addition y sont rares, car applicables seulement à la minime ou aux notes encore plus courtes.

Les exemples qui suivent s'analysent au mieux, me semble-t-il, en deux étapes : considérer d'abord le niveau tempus, en omettant donc les notes plus courtes que la semi-brève, puis voir ce qui se passe au niveau prolatio lorsqu'on les ajoute :

exemple 30 : mens_o_pt B ° S S M B = 9 | 3 5 1 | 9  (Apel page 122)
La deuxième semi-brève est altérée au niveau tempus, puis amputée d'une minime à droite au niveau prolatio.

exemple 31 : mens_o_pt B S ° S M S Sm Sm B = 6 3 | 2 1 5 1/2 1/2 | 9  (Apel page 122)
La semi-brève qui suit le point de division subit l'imperfection à droite au niveau prolatio. Sa suivante est doublée par altération au niveau tempus, puis rendue imparfaite au niveau prolatio par les deux semi-minimes sur sa droite.

Et voici le bouquet final, proposant des points de division et des altérations à deux niveaux différents !

exemple 32 : mens_o_pt B M ° S ° M S M B = 8 1 | 3 1 4 1 | 9  (Apel page 122)
La première brève subit une imperfectio ad partem propinquam ; elle est suivie d'un point de division au niveau tempus. La première semi-brève reste parfaite malgré la minime sur sa droite en raison du deuxième point de division agissant au niveau prolatio ! La seconde semi-brève est doublée par altération au niveau tempus, puis amputée par imperfection au niveau prolatio, à la fois sur sa gauche et sa droite.

exemple 33 : mens_o_pt B M M ° M M ° M S Sm Sm B = ? ? ? | 1 2 1 4 1/2 1/2 | 9  (Apel page 122)
Le premier point agit au niveau tempus : suivie d'un groupe équivalant à trois semi-brèves, la première brève aurait pu rester parfaite ; au lieu de cela, c'est la dernière semi-brève du groupe (à gauche des semi-minimes) qui est doublée par altération. Le deuxième point, agissant au niveau prolatio, force le groupement de la dernière minime avec la semi-brève suivante, avec deux conséquences : d'une part la seconde minime du groupe central (entre les points) se trouve altérée au niveau prolatio ; d'autre part, la dernière semi-brève, déjà altérée au niveau tempus , est rendue imparfaite à gauche et à droite au niveau prolatio.
Le début de la séquence n'est pas évident pour moi ! Apel y voit une altération de la seconde minime au niveau prolatio, avec pour résultat 6 1 2. Toutefois, si tel est le rythme voulu par le compositeur, rien n'empêcherait ici de l'écrire B M S puisqu'aucune figure de semi-brève ne le suit. Dans un tel cas il est en principe incorrect de recourir à l'altération ! De plus, rien ne permet ici de départager le scribe du musicologue, puisque ce dernier ne donne aucun argument à l'appui de sa lecture : entre deux évaluations métriquement différentes, le choix est en général facile ; mais ici la différence dégagée au niveau prolatio est imputée sur la brève par imperfection au niveau tempus, de sorte que l'interprétation 7 1 1, au total équivalente à 6 1 2, me paraît au moins aussi légitime...

Ce rythme 7 1 1 est loin d'être aussi invraisemblable qu'il n'y paraît : pensons à une fin de phrase arrivant en notation moderne 9/2 sur une carrée pointée liée à une blanche, suivie d'une respiration, puis d'une levée constituée de deux autres blanches...

 

Les modes et leur notation

La division des longues en brèves s'appelle modus longarum, ou modus minor, ou modus sans autre précision.
Celle des maximes en longues, introduite un peu plus tard, est nommée modus maximorum, ou modus major, ou encore maximodus.

Lorsqu'ils sont indiqués parfaits (voir ci-dessous), les modes s'interprètent comme les autres divisions ternaires, et il faut absolument en tenir en compte pour obtenir une transcription métriquement correcte : les longues et/ou les maximes peuvent y subir l'imperfection, et les longues l'altération devant une maxime (Apel donne en page 124 un exemple étonnant comportant deux altérations emboîtées !).

D'un autre côté, en l'absence d'indication, ces deux modes sont supposés binaires. Fort heureusement, cette situation est fréquente, c'est pourquoi, en toute naïveté, j'ai pu transcrire sans problème quelques documents datés aux alentours de 1500 : car, en relisant mes notes maintenant, je m'aperçois que cette question des signes indicatifs de modes est loin d'être aussi simple que le souvenir que j'en avais... Voici pourquoi :


Essayons simplement de dégager les grandes lignes de cette aventure compliquée, dont vous trouverez les détails dans Busse Berger.

Notation des modes par les silences

Cette notation, apparue vers le milieu du 15e siècle, est basée sur une idée simple : les modes sont indiqués par le groupement et la longueur de quelques silences écrits au début de la portée, avant même le signe de mensuration. Toutefois les détails de réalisation ont présenté quelques variantes :

Une première façon de faire, largement majoritaire, notamment en Italie, fut défendue par Tinctoris : la hauteur du silence occupant deux ou trois lignes représente le nombre de brèves dont est composée la longue (c'est à dire le mode mineur), et le nombre de silences juxtaposés représente le nombre de longues dans la maxime (donc le mode majeur). C'est le système mentionné par Apel page 124 :

modes33 modes32 modes23 modes22
Mode majeur parfait
Mode mineur parfait
Mode majeur parfait
Mode mineur imparfait
Mode majeur imparfait
Mode mineur parfait
Mode majeur imparfait
Mode mineur imparfait
notés 3-3 dans notre texte notés 3-2 dans notre texte notés 2-3 dans notre texte notés 2-2 dans notre texte
(La dernière ligne indique la notation adoptée dans le texte du présent paragraphe pour des raisons typographiques)

Une autre façon de faire fut défendue par Gaffurius et quelques auteurs minoritaires, surtout allemands. Cette notation, expliquée par Blockland de Monfort sur ses pages 26 et 27, essaie de limiter ses indications au minimum nécessaire :

sil1lg3  indique un mode mineur parfait ; en l'absence de ce signe le mode est binaire.
sil2lg3 indique un mode majeur parfait, en l'absence de signe le mode majeur est binaire.

Le caractère illogique de cette notation fut perçu par Gaffurius lui-même, à tel point qu'il tenta maladroitement de la réconcilier avec la notation de Tinctoris. De fait, sa simplicité n'est qu'une apparence trompeuse : de toute évidence, un seul groupe de silence(s) ne peut suffire à décrire les quatre combinaisons 3-3, 2-2, 3-2 et 2-3...

Quelles que soient ses variantes, la notation par les silences de modes présentait des lacunes qui conduisirent à son déclin dès la fin du 15e siècle. D'une part elle ne disait rien du temps et de la prolation, et devait donc être complétée par un signe de mensuration, ce qui la rendait peu compacte. D'autre part, et surtout, il était impossible pour d'évidentes raisons de l'utiliser au cours d'une pièce pour marquer un changement de mode.

La notation Modus cum tempore

Elle remplaça progressivement la précédente, parce qu'elle réussissait à indiquer le type de chaque niveau de division à chaque fois que cela était nécessaire. En voici quelques variantes :

version complète
mens_o_pt32 par exemple indique le mode majeur parfait (cercle complet), mineur parfait, temps imparfait, et prolation majeure.
mens_o23 : mode majeur parfait, mineur imparfait, temps parfait, prolation mineure (pas de point).
etc...

version abrégée (fréquente)
mens_o_pt2 par exemple indique le mode mineur parfait (cercle complet), temps imparfait, et prolation majeure.
mens_c3 : mode mineur imparfait, temps parfait, prolation mineure.
etc...

version inversée
mens_c_pt32 indique le temps imparfait (cercle incomplet), mode mineur parfait, majeur imparfait, prolation majeure.
etc...
Les partisans de cette dernière version - à vrai dire peu nombreux - arguaient qu'il était préférable de consacrer toujours le cercle parfait ou imparfait à l'indication du tempus (et personnellement, je trouve en effet peu logique que les premières versions logent le point de la prolation dans le cercle du mode).

Seules les deux premières versions sont (très clairement) expliquées par Blockland (pages 31-32), car "ceci [lui] semble suffire aux apprentis". Yssandon (folios 14 verso à 16 recto) est plus complet, mais assez confus à mon goût.

Pour corser le tout, ce système présentait plusieurs signes en commun avec celui des proportions, et c'est d'ailleurs ce qui explique le glissement de sens du cercle (indiquant un mode au lieu du temps) : l'exécution deux fois plus rapide d'un passage (diminution deux) n'était pas notée avec des valeurs plus petites, mais plutôt avec les mêmes valeurs précédées d'un symbole tel que mens_o2, par exemple, si l'on diminuait un temps parfait. Mais alors le rôle des minimes était désormais tenu par les semi-brèves, celui de ces dernières par les brèves, celui des brèves par les longues (d'où le glissement temps => mode mineur), etc. De plus, le doublement d'un temps parfait ou le triplement d'un temps imparfait soulevaient des questions épineuses sur la nature de la mensuration d'arrivée et sur la note à laquelle il fallait attacher désormais le tactus...

On conçoit donc qu'une certaine confusion régnait ; je n'invente rien, voici ce que disait Yssandon (folio 18 verso) : "La diminution se fait en quatre sortes, la première marquée par nombre binaire, marqué de cette sorte mens_o2, mens_c2, et encore que ces marques sont du mode mineur peuvent aussi être de double proportion. J'ai déjà écrit la discrétion qui faut que le musicien aie en ces signes confus en un chapitre à part. [...]". Et Blockland n'est pas plus encourageant, qui conclut ainsi son chapitre sur les proportions (folio 47) : "Il y a encore plusieurs manières de proportions, lesquelles pour le présent ne récitons pas : en partie pour la difficulté d'icelles, en partie aussi, pource qu'elles ne se trouvent guère souvent pratiquées aux auteurs modernes".

Bien que servant mon propos, ces citations datant de la fin du seizième ne doivent pas être prises trop au pied de la lettre : manifestement, près d'un siècle après la mort d'Ockeghem, ces auteurs se penchent sur un passé révolu.

Nous voilà donc dans une situation paradoxale : la musique aide aujourd'hui les spécialistes à interpréter les signes de modes et de proportions, alors même que ces signes étaient à l'inverse destinés à en prescrire l'exécution !

Silences de longues et de maximes

Leur notation est simple et naturelle, bien qu'en parenté avec ce qui précède : le silence de longue est un empilement vertical de silences de brèves, et le silence de maxime une juxtaposition horizontale de silences de longues ; le nombre de silences empilés ou juxtaposés correspond à la nature parfaite ou imparfaite de la note :

sil1lg3 ou sil1lg2  silences de longue parfaite ou imparfaite.
sil2lg3  silence de maxime imparfaite lorsque le mode mineur (longue) est parfait.
sil2lg2  silence de maxime imparfaite lorsque le mode mineur est imparfait.

Pourquoi ne pas évoquer les silences de maxime parfaite (trois silences juxtaposés) ? Parce qu'il est bien rare de rencontrer une maxime parfaite isolée ; elle n'apparaît que sous forme de groupes de valeur équivalente, et il en est de même pour son silence :

maxime longue ;  longue maxime ;  longue longue longue ;  sil2lg2 longue (mode mineur imparfait) ;  sil2lg3 longue (mode mineur parfait) ;  etc...

Une dernière précision importante : les silences successifs sont groupés de façon à ne pas démentir le mode. Sous le mode majeur imparfait, par exemple, on rencontrera :

sil2lg3sil2lg3   ou   sil2lg2sil2lg2sil1lg2    etc...

En effet, trois silences au même niveau auraient suggéré un mode majeur parfait. De même, en mode mineur imparfait on écrira :

sil1lg2silbreve   et non pas  sil1lg3   qui indiquerait une longue parfaite.

Déduction du mode

L'analyse de la musique permet souvent d'inférer la nature d'une division lorsque le signe de mensuration ou de mode est absent ou d'interprétation ambigüe.

Ce paragraphe est la synthèse partielle de l'exposé d'Apel (pages 346 à 349), portant sur une période antérieure pendant laquelle les signes de mensuration étaient omis la plupart du temps.
Prenons l'exemple du mode mineur :

preuves de longue parfaite
rencontre de sil1lg3 ;  point non suivi de petite valeur complémentaire (parfois éloignée !)

indices de longue parfaite
chaque sil1lg2 est suivi ou précédé d'une breve ;  nombreux groupes longue breve breve breve longue

preuves de longue imparfaite
rencontre de sil1lg2silbreve ou sil1lg2sil1lg2

indices de longue imparfaite
chaque groupe longue breve breve breve longue est complété tôt ou tard par une breve (syncope)

Vous trouverez sur cette page annexe les explications correspondantes des auteurs anciens, Blockland et Yssandon (concernant les notes noires évoquées par ces auteurs, voyez la page sur la coloration).

 

Extraits musicaux réels

Enfin, un peu de musique et de... simplicité ! En effet, vous allez voir que dans mon exposé je suis allé sensiblement au-delà de ce que j'ai personnellement rencontré jusqu'ici...

La taille de la page ayant dépassé déjà les limites du raisonnable, je vous présente ces exemples dans des fenêtres séparées :

Ockeghem : Kyrie de la messe Ecce ancilla Domini, Cantus.
Festa : Hymne Conditor alme siderum, Tenor.
Isaac : Chanson Palle, palle, Cantus & Bassus.
Busnois : Kyrie de la messe O Crux lignum, Tenor.
Barbireau : Kyrie de la messe Virgo parens Christi, Cantus.

Si vous avez fait l'impasse sur la lecture des ligatures, ce serait peut-être une bonne idée de vous y mettre maintenant, en cliquant ici...
Comment, vous les avez étudiées, mais vous ne connaissez pas par coeur mon petit diagramme ? Qu'à cela ne tienne, le voici !

Pour finir, ne vous privez pas du plaisir d'écouter certaines de ces pièces déjà transcrites !

Et si m'avez suivi... jusqu'ici : merci de votre patience !