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La mensuration - les règles

Conventions de notation (1/2)
Les règles de la division binaire

La phrase ternaire
Conventions de notation (2/2)
Stratégie de lecture

Le mécanisme d'imperfection
Le mécanisme d'altération
Imperfection ou altération ?

En avant la musique !
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Conventions de notation (1/2)

Nous étudions maintenant les règles d'une division en général, sans préciser pour l'instant ni son niveau (tempus : brèves => semi-brèves ou prolatio : semi-brèves => minimes) ni son type (binaire ou ternaire).

Les symboles de notes

Nous noterons donc N le symbole de la plus grande note de la division (une brève dans le cas du temps, une semi-brève pour la prolation), et n le symbole de la plus petite (respectivement une semi-brève et une minime).

Les valeurs de notes

La valeur de la grande note sera notée V, celle de la plus petite sera notée v. Par convention, la valeur nominale de la petite note n est prise pour unité : v = 1. Les règles d'interprétation nous permettront alors d'évaluer V dans cette unité, selon la mensuration et le contexte.

Notation des silences

Suivant en cela Apel, nous noterons les silences et leurs valeurs entre parenthèses : (N) et (n) pour les symboles rencontrés sur le document, (V) et (v) pour leur valeur après interprétation.

Ces conventions de notation pourraient être ainsi résumées :

grande note N grand silence (N) petite note n petit silence (n)
tempus brève silence brève semibreve silence semi-brève
prolatio semibreve silence semi-brève minime silence minime


La notation abstraite adoptée ici pourra rebuter certains lecteurs ; elle présente toutefois trois avantages :

  • permettre d'évoquer à la fois le temps et la prolation, comme expliqué précédemment ;
  • s'abstraire de la question du rapport de réduction évoqué dans la page d'introduction ;
  • épurer l'exposé des principes de la confusion qui résulterait d'une transposition moderne de la mensuration ternaire, étant donné l'emploi obligé de notes pointées.

 

Les règles de la division binaire

Elles sont extrêmement simples : V = 2v = 2 sans exception !
Autrement dit, en tempus imperfectum une brève vaut toujours deux semi-brèves, et en prolatio minor une semi-brève vaut toujours deux minimes.

Le point d'addition

Exactement semblable à notre actuel point, il augmente de moitié la valeur d'une note, quelle qu'elle soit. Cependant il n'existait pas de double point.

Après un exposé aussi court sur la division binaire, de nombreux auteurs semblent culpabiliser : ils en profitent pour ajouter quelque digression (sur la musica ficta, par exemple). Permettez-moi de ne pas sacrifier à ce rite !

 

La phrase ternaire

Un groupe de symboles dont la valeur se totalise à 3 s'appelle une perfection. Il est commode de concevoir la phrase comme une succession de perfections.

Valeurs nominales

La valeur nominale du symbole N est : V = 3 ; celle du symbole n est : v = 1.
On rencontrera ces valeurs, par exemple, dans des motifs musicaux tels que :

(à lire de gauche à droite, comme une petite phrase musicale)
 symbole N n n n N N
 valeur 3 1 1 1 3 3
 tempus perfectum breve semibreve semibreve semibreve breve breve
 prolatio major semibreve minime minime minime semibreve semibreve

Une note ternaire valant effectivement 3 est dite parfaite.

Valeurs réelles

La valeur nominale 3 du symbole N est souvent réduite à 2 (ou même moins), selon le contexte, c'est à dire les notes ou les silences qui la voisinent à sa droite ou à sa gauche. Il s'agit du mécanisme soustractif d'imperfection, expliqué en détail par la suite.

La valeur nominale 1 du symbole n est, dans une circonstance précise, doublée à 2 : mécanisme d'altération (cf plus loin).

Dans ce contexte encore mouvant, une première certitude se dégage pourtant :

Règle C0 : jamais N ne voit sa valeur V diminuer jusqu'à 1, et jamais n ne voit sa valeur v augmenter au-delà de 2.

En effet, une note N amputée jusqu'à valoir 1 serait notée simplement n ! D'autre part, l'altération s'applique à n ou ne s'applique pas, cette note ne prend donc jamais d'autre valeur que 1 (nominale) ou 2 (altérée).

Les valeurs stables

Un système de symboles dépendants du contexte n'est viable que si certains d'entre eux, ponctuant la phrase, gardent une valeur fixe permettant de limiter la propagation de la dépendance contextuelle. Voici donc deux autres certitudes :

Règle C1 : Les silences ont toujours leur valeur nominale (V) = (3) et (v) = (1), quels que soient les notes ou les autres silences qui les jouxtent.

Règle C2 : La première d'une séquence N N ou N (N) vaut toujours 3 (similis ante similem perfecta), elle n'est donc jamais rendue imparfaite par le contexte à sa gauche.

Le sens du point (1/2)

Le point en mensuration ternaire prend deux sens totalement différents selon l'emplacement où il apparaît :

 

Conventions de notation (2/2)

Les règles C1 et C2 permettent de repérer des points d'ancrage dans la phrase, c'est à dire en fait des frontières de perfection que nous noterons par le signe |

Ainsi, dans une séquence ... N N ... la première note est parfaite (d'après C2), ce que nous noterons ... | 3 | N ... ; ce faisant nous restreignons les possibilités d'interprétation des notes précédentes et suivantes.
De même C1 permet d'établir deux frontières autour d'un silence ... (N) ... et une telle séquence peut donc être notée ... | (3) | ...

Le début de la portée est lui-même une frontière de perfection. En revanche il faut être plus prudent en ce qui concerne la fin, car la longue souvent rencontrée à cette place n'a pas une valeur métrique bien définie, comme signalé déjà dans la page sur les ligatures.

Le sens du point (2/2)

Le point de perfection (ou de division, terme synonyme) constitue lui même une frontière. Nous le noterons ° pour éviter la confusion avec la ponctuation.

Par exemple, une séquence ... | N ° n ... s'interprète ... | 3 | n ... car N, constituant à elle seule une perfection, garde sa valeur nominale 3 (comme on le verra bientôt, le point empêche ici l'imperfection de la grande note par la petite à sa droite, d'où son nom de point de perfection).

 

Stratégie de lecture

Le but est évidemment de traduire tous les symboles rencontrés en valeurs : N => 3 ou moins, n => 1 ou plus, etc.

Pour ce faire, il est essentiel de repérer en premier lieu les frontières de perfection recensées ci-dessus : début de portée, points de perfection, règles C1 et C2.

Ce processus permet de donner leur valeur à certains symboles, et d'établir des frontières de perfection qui faciliteront d'autant l'évaluation des symboles restants.

En dernier lieu on examinera chaque fragment délimité par ces frontières, en lui appliquant les règles exposées dans la suite (imperfection, altération) pour interpréter les derniers symboles.

Règle C3 : Un fragment situé entre deux frontières sûres telles que définies jusqu'ici doit comporter un nombre entier de perfections, autrement dit sa valeur totale doit être un multiple de 3.
Ou, pour dire les choses de façon un peu plus musicale : si une syncope se présente, aussi longue soit-elle, elle ne peut franchir de telles frontières.

 

Le mécanisme d'imperfection

L'aspiration fondamentale d'une grande note N, c'est de garder sa valeur nominale 3, c'est à dire de remplir une perfection à elle toute seule. Dans ce cas nous écririons : | N | = | 3 |
Toutefois, ce désir va rencontrer beaucoup d'obstacles sur son chemin en la personne de petites notes n souhaitant cohabiter avec elle dans une même perfection, pour un total inchangé de 3.

Règle I1 : N suivie de une seule n vaut 2 ; autrement dit : N n | = 2 1 |
Même chose si N est suivie de 4 n ou plus, et même chose si l'une ou l'autre n est remplacée par un silence (n).
Les anciens parlaient ici de imperfectio a parte post (abréviation app), qu'on pourrait appeler plus simplement aujourd'hui : imperfection par la droite.

Règle I2 : N précédée de une seule n ou 4 n ou plus vaut 2 : | n N = | 1 2
Même chose si quelque(s) n est/sont remplacée(s) par des silences (n).
(imperfection par la gauche, anciennement imperfectio a parte ante abrégée en apa)

Règle I3 : quand les conditions sont réunies pour appliquer les deux règles, c'est l'imperfection à droite (I1) qui prime.

Probablement parce que dans les premiers temps, l'imperfection à gauche n'existait pas - merci à Jason Stoessel pour cette information !
Remarquer que ces règles laissent de côté les séquences de trois ou de deux petites notes n. Dans le premier cas, on comprend qu'une séquence n n n en rythme ternaire ait tendance à former à elle seule une perfection à chaque fois que c'est possible (cf exemple 1). Le deuxième cas de n n devant N sera traité par la suite (mécanisme d'altération).

exemple 1 : | N n n n N |
Aucune des deux règles ne s'applique dans ce cas de 3 n, d'où le résultat : | 3 | 1 1 1 | 3 |
Remarquer les frontières de perfection que nous avons supposées présentes en début et en fin d'exemple (sur la partition, elles pourraient correspondre à des silences, par exemple). En leur absence, les notes N pourraient être rendues imparfaites par le contexte à gauche ou à droite ; ainsi | N n n n N n | donnerait | 3 | 1 1 1 | 2 1 | par application de I1.

exemple 2 : | N n N | = | 2 1 | 3 | par application de I1 et I3.
En effet l'application erronée de I2 aurait donné plutôt : | 3 | 1 2 |

exemple 3 : | n N n N |
Le résultat correct s'obtient en appliquant I2 deux fois de suite : | 1 2 | 1 2 | (appliquer I1 à la séquence centrale N n n'aurait guère de sens musical : le résultat | 1 2 1 3 | valant 7 au total engendre une syncope franchissant une frontière de perfection, en violation de la certitude C3).

exemple 4 : | N n n n n n N |
On applique I1 aux deux premières notes et I2 aux deux dernières : | 2 1 | 1 1 1 | 1 2 |

exemple 5 : | N n n n n N |
Une séquence n n n forme une perfection, la n restante affecte la N qui la jouxte. C'est I1 qui s'applique de préférence d'après I3, d'où : | 2 1 | 1 1 1 | 3 | (l'application simultanée de I1 et I2 aux deux premières et aux deux dernières notes donnerait | 2 1 1 1 1 2 | pour un total de 8 contredisant C3)

exemple 6 : | n n n n N n n n N ...
Aucune imperfection ne survient en queue de séquence en raison des trois n ; par contre I2 s'applique à gauche de la première N pour donner | 1 1 1 | 1 2 | 1 1 1 | N ...

exemple 7 : | N ° n n n n N |
La première grande note reste parfaite : le point qui la suit ne peut être qu'un point de perfection. Par contre la dernière des quatre n motive l'application de I2 à la deuxième N, d'où le résultat | 3 | 1 1 1 | 1 2 | à comparer avec l'exemple 5 dépourvu de point.

Compléments sur les silences

La règle C1 stipule qu'un silence garde toujours sa valeur. En revanche, I1 et I2 prévoient qu'un silence (n) peut être une cause d'imperfection au même titre que la note n elle-même. Par conséquent les exemples précédents restent valables en remplaçant une note n par son silence (n).

Un peu plus d'attention s'impose pourtant lorsque plusieurs tels silences se suivent.

exemple 8 : | N "deux petits silences" n n N |

La notation ambigüe de cet exemple pourra être ainsi précisée :


Remarquons avec quel à propos la notation se saisit d'un paramètre resté libre : en passant des notes aux silences, la hauteur désormais disponible revêt une signification nouvelle !
exemple 9 : | N (n) (n) n n N |  (les silences de l'exemple 8 à des hauteurs différentes).
Le premier silence, et lui seul, cohabite avec N dans la première perfection, d'où le résultat | 2 (1) | (1) 1 1 | 3 |

exemple 10 : | N (n) (n) n n N |  (l'exemple 8 avec les silences à la même hauteur).
Les silences sont dans une même perfection, et ce ne peut être la première : car la valeur de N réduite à 1 aurait alors été notée n (règle C0). Il s'en suit que la première N reste parfaite, et que la deuxième subit l'imperfection à gauche pour un résultat | 3 | (1) (1) 1 | 1 2 |

Voici donc l'exposé des faits. Je vous propose maintenant - plus prudemment - mes commentaires à cette situation moins simple qu'il n'y paraît à première vue si nous la rapprochons des exemples 5 et 7 constitués exclusivement de notes.

Tout d'abord, dans l'exemple 9, la hauteur différente joue manifestement le rôle d'un point de perfection. Et pourtant - premier paradoxe - celui-ci était superflu dans l'exemple 5 (la règle I1 suffisait à obtenir le résultat) !

L'équivalence des notations N (n) (n) et N (n)°(n) est attestée par Blockland de Monfort lui-même sur sa page 37, bien qu'Apel ignore la deuxième et que personnellement je ne l'aie jamais rencontrée (une raison possible est avancée ci-dessous).
Ensuite - deuxième paradoxe, en remplaçant à nouveau les silences de l'exemple 10 par des notes, il faut absolument introduire un point de perfection pour aboutir à l'exemple 7 - en l'omettant nous retrouverions l'exemple 5 !

J'ai cherché à comprendre les raisons à cette situation. Après avoir transcrit quelques manuscrits, je garde l'impression qu'un des pièges les plus fréquents est la confusion possible entre les points et les silences de semi-brèves ou de minimes (et ce, même en faisant abstraction du mauvais état des documents, qu'ils ne pouvaient prévoir). J'imagine donc qu'ils ont voulu éviter autant que possible la juxtaposition de ces symboles, en remplaçant systématiquement N (n)°(n) par N (n) (n), et en convenant que N (n) (n) ... permettait d'omettre le point après N à chaque fois qu'il eut été nécessaire.

Examinons encore cette séquence intéressante donnée par Apel sur sa page 110 :

exemple 11 : | N (N) n N n n n n N n (n) (n) ... (derniers silences à la même hauteur)
La séquence commence par | 3 | (3) | 1 2 | 1 1 1 | d'après les règles C1 et I2. L'analyse de la suite | n N n (n) (n) ... revient à se demander si la N est parfaite ou pas. Le premier cas aboutirait à une syncope | 1 3 1 (1) | (1) ... démentie par la notation des silences à la même hauteur, d'où le résultat correct pour la séquence complète : | 3 | (3) | 1 2 | 1 1 1 | 1 2 | 1 (1) (1) ...

Pour finir, revenons quelques instants au cas simple de silences isolés, pour signaler une nuance de notation par rapport à nos habitudes modernes : alors que nous plaçons les silences à une hauteur fixe, ils préféraient les intégrer à la ligne mélodique, c'est à dire leur donner une hauteur intermédiaire par rapport à celle des notes voisines. h_silences

Contrôle anti-doping

J'adjure le lecteur de n'utiliser aucun moyen illicite pour surmonter son découragement, mais plutôt d'essayer cette suggestion : interrompre provisoirement l'étude de cette page pour parcourir le début de la page suivante consacrée à la musique. En effet, les exemples extraits de cas réels y sont présentés avec des symboles de notes familiers qui vous (re)motiveront et vous apporteront un éclairage complémentaire sur le fonctionnement des règles d'imperfection...

 

Le mécanisme d'altération

Les règles I1 et I2 ignorent le cas d'une séquence de deux n qui va nous occuper maintenant.

exemple 12 : ... n N | N ...
Nous savons que la règle fondamentale C2 stipule que la première N est parfaite, quel que soit le contexte au début et à la fin du fragment.
Il s'en suit que nous avons maintenant un problème pour noter un rythme 1 2 devant une N : car le seul moyen à notre disposition jusqu'ici, à savoir n N, se trouve inutilisable puisqu'il aboutit à cet exemple 12 s'évaluant à ... 1 | 3 | N ...
La règle d'altération ci-dessous comble cette lacune en modifiant exceptionnellement l'évaluation de n n :

Règle A : Dans une séquence | n n N ... la deuxième n voit sa valeur doublée pour un résultat | 1 2 | N ...

Il est important de remarquer que seule l'existence de la règle C2 justifie l'introduction de l'altération. Autrement dit, l'évaluation altérée de la séquence n n n'est justifiée que devant une N ou son silence (N) - Apel souligne que de nombreux auteurs ont insisté sur ce point.


exemple 13 : | N n n N |
C'est le type même de séquence ayant motivé l'introduction de l'altération, donc : | 3 | 1 2 | 3 |
Remarquons que les règles d'imperfection I1 et I2 ignorent le cas d'une séquence de deux n, justement pour laisser place à leur évaluation altérée dans une telle circonstance.

exemple 14 : | N n ° n N |
Ici le point de perfection empêche l'interprétation altérée ; on applique I1 dans la perfection à sa gauche, et I2 dans celle de droite pour le résultat | 2 1 | 1 2 |

Retenons bien la notation et l'évaluation des deux séquences des exemples 13 et 14 sur lequelles nous reviendrons par la suite.

exemple 15 : | N n ° n n N |
Résultat : | 2 1 | 1 2 | 3 | (I1, point de perfection, altération). Le point, en effet, isole la séquence n n N de la n à sa gauche appartenant à la première perfection, et justifie donc l'application de l'altération devant la dernière N.
Remarquer, une fois encore, la différence avec la séquence | N n n n N | dépourvue de point (exemple 1).

exemple 16 : | N n n N N |
Dans cette séquence débutant comme l'exemple 13, plusieurs raisons apparentes - en fait elles n'en font qu'une - coopèrent pour démentir l'évaluation | 2 1 | 1 2 | 3 | :  a) une séquence de deux n ne provoque pas d'imperfection ;  b) au contraire, c'est elle qui subit l'altération ; c)  et d'ailleurs, l'avant-dernière N, devant une semblable, est parfaite. D'où le résultat correct : | 3 | 1 2 | 3 | 3 |

Altération et silences

En premier lieu, C2 s'applique aussi au cas N (N) ; le même raisonnement que ci-dessus conduit donc à l'altération dans une séquence | n n (N) ... qui s'évalue à | 1 2 | (N) ...

En deuxième lieu, C1 nous avertit que dans une séquence n (n) N le silence (n) n'est jamais altéré.

exemple 17 : | N n (n) N |
Pas d'altération possible pour (n) donc | 2 1 | (1) 2 | d'après I1 puis I2 ; à comparer à l'exemple 13 !

Enfin, ce n'est pas une surprise d'apprendre qu'en revanche un silence (n) peut être la cause d'une altération de sa voisine n de droite.

exemple 18 : | N (n) n N n (n) N | (emprunté à Apel page 115)
L'altération s'applique à la première partie de la séquence, à gauche de la N centrale, mais pas dans la deuxième partie, puisque le silence (n) ne saurait être altéré. Il s'en suit que la N centrale est rendue imparfaite par sa voisine n de droite, et la N finale par le silence (n) à sa gauche, pour un résultat : | 3 | (1) 2 | 2 1 | (1) 2 |

C'est le moment d'énoncer formellement une règle générale, implicitement utilisée dans l'exemple précédent et de nombreux autres déjà :

Règle G1 : N prend sa valeur nominale 3 dès lors qu'aucune des règles I ou A ne s'applique.

Vous m'accorderez volontiers que je ne pouvais poser cette règle qu'après toutes les autres ; en revanche vous me demanderez peut-être de justifier son implication à première vue paradoxale si je la résume ainsi : en mensuration parfaite, la note N n'est parfaite qu'en l'absence de toute cause d'imperfection !

C'est au fond ce que nous disions au début du paragraphe sur l'imperfection : N réalise son aspiration à valoir 3... dès lors que rien ne s'y oppose. J'aime à me représenter une perfection comme un récipient dans lequel les notes négocient tant bien que mal leurs valeurs pour y cohabiter, tout en respectant la place disponible au total.
Malgré mon respect pour Apel qui m'a tout appris, mon sentiment actuel c'est que ma vision épouse au moins autant la philosophie du système que la méthode qu'il adopte lui-même : sur sa page 108, il pose dès le départ une règle positive de perfection "[An N] is perfect if followed by two or three [n]" (j'ai mis des crochets car sa notation n'est pas la mienne ; par ailleurs sa note de bas de page est relative à une autre question que j'évoquerai plus loin).
En conséquence, lorsqu'il examine tout en haut de la page 110 une séquence ayant inspiré notre exemple 6, il est bien obligé d'admettre que celle-ci "shows that [an N] followed by three [n] may occasionally be imperfect, namely, by imperfectio apa" (les crochets pour la même raison que ci-dessus).
J'avoue qu'une exception aussi importante survenant aussi tôt m'a beaucoup gêné, et fut la première raison de ma recherche d'une autre approche ; la seconde étant que j'ai besoin d'intégrer les choses à ma propre logique pour les comprendre. En espérant, bien sûr, que les quelques exemples rencontrés à l'avenir dans mes petites pérégrinations d'amateur ne mettront pas à bas quelque règle essentielle à ce bel édifice...

 

Imperfection ou altération ?

En principe les règles suffisent à choisir entre imperfection et altération. Qui plus est, le point de perfection - encore appelé point de division, destiné au départ à forcer une évaluation différente (exemples 14 et 15), peut toujours être ajouté à titre de précaution pour lever une ambiguïté.

Toutefois, ce genre de cadeau est à l'entière discrétion du scribe !

Un cas limite !

exemple 19 : | N n n n n n n N | (Apel page 115)
Les règles données dictent clairement l'évaluation : imperfection au début, altération à la fin, pour un résultat | 2 1 | 1 1 1 | 1 2 | 3 |
Toutefois Apel semble avoir rencontré des cas d'évaluation différente s'appuyant sur l'affinité des groupes n n n à former une perfection, les N initiale et finale restant alors parfaites pour donner : | 3 | 1 1 1 | 1 1 1 | 3 |

Dans de tels cas la confrontation avec les autres voix peut aider à faire le bon choix...

Apel ne cite pas ses sources, dont les dates auraient été intéressantes à connaître : soit cet exemple illustre les limites d'un système insuffisamment spécifié dans les cas complexes, soit, plus probablement, il participe d'une évolution historique ayant vu décroître peu à peu l'importance de l'altération. Car il existe bel et bien des indices irréfutables de cette évolution, et dans des cas bien plus simples que le précédent...

Evolution historique de l'altération

Les séquences illustrées par les exemples 13 et 14 sont particulièrement significatives : dès la fin du 15e l'on rencontre des cas où, malgré l'absence de point, | N n n N | doit être évalué comme | 2 1 | 1 2 | (ici, la confrontation des voix est décisive, puisque les deux évaluations diffèrent d'une perfection au total). A mesure que passent les années, ces cas deviennent assez nombreux dans les sources musicales pour que l'on puisse exclure l'hypothèse d'une omission malencontreuse du point de perfection par les scribes.

En même temps, les théoriciens continuent d'exposer l'ancienne interprétation (celle de l'exemple 13) ! Celle-ci reste d'ailleurs la règle, d'après Apel, dans tous les cas où la séquence intervient dans une ligature. Bien que cet auteur énonce cette prescription sans explication, j'ai bien envie d'en suggérer une, qui consiste en ce rapprochement troublant de quelques faits établis :


Il s'agirait donc d'une interprétation fossile véhiculée avec sa représentation graphique elle aussi de plus en plus obsolète. D'ailleurs, Apel lui-même (et probablement tous les documentalistes avec lui) attire notre attention sur la nécessité de bien distinguer la date d'un document physique de celle de son contenu. Autrement dit, en l'absence d'instructions particulières, la loi du moindre effort a pu conduire le scribe à recopier telle quelle la musique écrite plusieurs dizaines d'années auparavant, en décalage avec la pratique de son époque...

Un mystère bien plus épais surgit dans une note commençant au bas de la page 108. Apel cite Glarean qui, se référant lui-même à Gaffurius, rapporte que des auteurs aussi importants que Josquin auraient dérogé à maintes reprises à notre règle C2 ! Il est tentant de rapprocher ce fait avec le précédent, puisque c'est l'intangibilité de C2 qui imposait d'introduire l'altération (voyez la note sous l'énoncé de la règle A). Toutefois ce ne serait pas une mince affaire que d'évaluer toutes les conséquences d'un renoncement à C2 (dans certains cas du moins ?), et comme par ailleurs Apel-Glarean-Gaffurius ne citent ni sources ni exemples à l'appui de leurs dires, je me sens soudain bien peu motivé pour spéculer davantage... Par contre, si un expert égaré sur cette page me faisait le cadeau de pour m'indiquer une piste à ce sujet, je lui en serais très reconnaissant !

 

En avant la musique !

Je vous invite maintenant à visiter la page suivante, qui illustre ces règles austères par des exemples de plus en plus réalistes mélangeant les deux divisions tempus et prolatio.